Mot de la fondatrice
Inventer et bâtir un Musée
Je suis née en Gaspésie, près de la mer. C’est une vraie chance, car de l’eau et du ciel à perte de vue, ça donne envie de rêver – et le rêve, selon moi, c’est le début de tout. Mais si la mer est belle, elle peut être terrible aussi… En voyant les pêcheurs à l’œuvre, j’ai appris très jeune à faire beaucoup avec peu et à tenir bon quoi qu’il arrive! J’ai eu surtout l’immense privilège de recevoir de mes parents des valeurs qui m’ont accompagnée ma vie durant. Comme l’importance d’être soi-même et de s’accorder la liberté de tracer sa propre route. Ils m’ont encouragé à oser m’engager sur les chemins peu fréquentés.
La jeune Gaspésienne que j’étais est partie étudier à Montréal. Première fille du village à faire des études universitaires, je reviens diplômes en poche, et je débute ma carrière comme professeure d’histoire au cégep. Comme bénévole, je participe à la définition du concept du Musée régional de la Gaspésie et je mets ainsi le doigt dans la préservation du patrimoine et la gestion de projet. Fascinée par cette façon de travailler, je quitte l’enseignement pour me joindre à Parcs Canada où je suis intégrée à une équipe interdisciplinaire. C’est une révélation : je n’en reviens pas de voir que tous ces spécialistes réunis autour d’une même table – géologue, architecte, archéologue, urbaniste – ont chacun une vision différente des projets discutés! Un monde de possibles s’ouvre à moi! Me voici donc, dirigeant la mise en valeur de 26 lieux historiques et de 4 parcs nationaux. J’ai 40 ans, un emploi en or, et on me propose le poste de directrice des expositions pour participer à créer le Musée de la civilisation, à Québec.
Suite à cette belle réalisation, je fonde mon entreprise-conseil en muséologie où je travaillerai sur des projets au Québec, au Canada et à l’étranger. En novembre 1989, on me confie un projet exceptionnel, et je dois exploiter la totalité de mes expériences : inventer et bâtir un musée au-dessus des vestiges de la fondation de Montréal. Ce sera le 14e musée d’histoire de Montréal, un « petit dernier » qui devra prendre sa place. Dès l’ouverture de Pointe-à-Callière, en mai 1992, pour le 350e anniversaire de Montréal, la réponse du public est stimulante – et un an plus tard, le Musée du Louvre reconnaît le Musée parmi les grands sites archéologiques du monde en m’invitant à un débat avec les directeurs de Pompéi, Louxor, Xian et Templo Mayor, en présence de 1000 muséologues du monde entier.
De quoi lancer le Musée sur la scène mondiale, mais encore faut-il que les visiteurs reviennent. Pour moi, c’est par la rencontre avec d’autres cultures qu’on peut découvrir le mieux sa propre identité. En plus des expositions permanentes sur l’histoire de Montréal, nous miserons donc sur la réalisation d’expositions internationales, en faisant venir à Montréal de précieux objets du monde entier. Il m’arrivera plusieurs fois d’engager le Musée dans des négociations avec des pays lointains, dans des situations qui présentent un haut degré de difficulté. Il a fallu y croire et développer une stratégie spécifique pour obtenir la permission d’exposer en exclusivité et en primeur à Montréal des pièces du patrimoine mondial de l’humanité comme les manuscrits de la Mer morte, par exemple.
Oui, travailler avec l’international, c’est s’exposer au grand vent comme jamais. Mais la crédibilité du Musée s’est bâtie réalisation après réalisation… et un jour, les plus grands musées du monde nous ont accordé leur confiance. Après 28 ans, Pointe-à-Callière est devenu une Cité de l’archéologie et de l’histoire unique au monde, qui relie en souterrain de nombreux sites archéologiques et bâtiments patrimoniaux.
Je crois que c’est parce que Pointe-à-Callière a mis de l’avant des valeurs d’audace, de souci de la qualité et de services à la clientèle, que chaque année – avant que la pandémie ne torpille ces succès – 500 000 personnes de Montréal et de tous les continents nous faisaient l’honneur de nous visiter. Ces valeurs, qu’on m’avait transmises toute petite, ont nourri l’âme du Musée, et je sais qu’elles m’ont permis d’accompagner les équipes tout au long de notre croissance.
Aujourd’hui, j’avoue avoir un réel vertige à l’idée de laisser aller ces lieux chargés d’histoire, qui ont meublé mon quotidien… et j’ai un immense pincement au cœur à devoir dire au revoir à toutes les équipes du Musée, à nos membres, visiteurs, partenaires, donateurs ainsi qu’aux administrateurs qui ont veillé à la bonne gouvernance du Musée et de la Fondation pendant toutes ces années. À chacun d’entre vous, je dis merci d’avoir participé à cette si belle aventure. Et je remercie sincèrement la Ville de Montréal, tous ses maires depuis 1992, ainsi que les élus et les équipes de la culture qui nous ont permis de développer des relations privilégiées avec les citoyens.
Une chose est certaine : si j’ai fait évoluer les projets du Musée autant avec mes « tripes » qu’avec ma raison, je sais que les milliers de personnes qui ont posé une à une ces pierres avec moi ont cru, eux aussi, à ce rêve qui s’est mué en projets, puis en réalisations. Mais je quitte le Musée avec la satisfaction d’avoir réussi à faire œuvre utile en redonnant aux Montréalais leur patrimoine et leur lieu de fondation.
Merci de tout cœur!
Francine Lelièvre
Fondatrice de Pointe-à-Callière
Directrice générale de 1992 à 2020
L’héritage de Francine Lelièvre
En quittant l’institution après 30 années, Francine Lelièvre laisse aux Montréalais tout un héritage. La Cité d’archéologie et d’histoire de Montréal est désormais un complexe muséal de classe mondiale qui met en valeur le lieu de fondation de la ville. Le bilan de Mme Lelièvre est tellement solide qu’il constitue l’assise sur laquelle s’appuiera le futur de l’organisme. Voici le résumé de ses principales réalisations à Pointe-à-Callière.
Une croissance spectaculaire
Sous la direction de Francine Lelièvre, le musée a connu un essor spectaculaire.
+ Conçu initialement pour accueillir quelque 150 000 personnes annuellement, le Musée a franchi le cap des 500 000 visiteurs à sa 26e année d’ouverture.
De nouveaux pavillons et infrastructures
Francine Lelièvre a dirigé la création ainsi que d’importantes phases d’expansion du Musée devenu un attrait de classe mondiale.
Au pavillon principal de l’Éperon, de la Place du marché et de l’Ancienne Douane ouverts en 1992, les pavillons et infrastructures suivants se sont ajoutés :
+ la Station de pompage d’Youville
+ la Maison-des-Marins
+ le fort de Ville-Marie
+ le premier égout collecteur de Montréal
+ le concept d’aménagement de la Caserne des pompiers en maison des tout-petits, 1 à 6 ans (projet en cours)
+ le plan de conservation et l’avant-projet pour la mise en valeur du volet patrimonial du silo no 5 (projet en cours).
Site archéologique du Marché-Sainte-Anne-et-du-Parlement-du-Canada-Uni
Francine Lelièvre a mené le musée et ses équipes à effectuer trois campagnes de fouilles archéologiques majeures (2010, 2013 et 2016-2017) sur le site du marché Sainte-Anne et du premier parlement de la province du Canada dans le Vieux-Montréal, place D’Youville. Elle a effectué les études préalables à la mise en valeur de ce site historique et archéologique monumental et de la seconde partie du premier égout collecteur de Montréal (projet en cours).
Des expositions incontournables
Francine Lelièvre a dirigé la réalisation de :
+ 51 expositions temporaires nationales et internationales, dont plusieurs en exclusivité ou en primeur mondiale
+ 4 spectacles multimédias novateurs
+ une exposition permanente renouvelée 3 fois dans l’Éperon, dans la crypte archéologique et dans l’Ancienne Douane
+ une exposition permanente dans le fort de Ville-Marie
+ une exposition permanente dans la Station de pompage d’Youville
+ un espace de fouilles archéologiques simulées : Archéo-aventure
+ une exposition pour familles : Pirates ou corsaires?, inaugurée en 2013 et renouvelée en 2020
+ des dizaines d’expositions hors les murs et en tournée au pays et à l’international.
Un programme d’animation culturelle riche et diversifié
Francine Lelièvre a mis sur pied des activités culturelles historiques attrayantes dont :
+ Les célébrations du 300e anniversaire de La Grande Paix de Montréal (1701-2001), soit la signature, par la Nouvelle-France et par une trentaine de nations autochtones, d’un important traité de paix. Plus de 2,5 millions de personnes ont participé aux diverses activités associées à ces célébrations tout au long de 2001 ; plus de 800 reportages ont été réalisés pendant ces festivités
+ Vingt-six éditions du célèbre Marché public de Pointe-à-Callière dans l’ambiance du 18e siècle
+ Vingt-quatre éditions des Symphonies portuaires
+ Des dizaines d’éditions des Rendez-vous des cultures et de Cultures gourmandes
+ Cinq éditions de La Ronde de nuit.
Un programme éducatif unique à Montréal
Francine Lelièvre a initié :
+ la mise sur pied d’un programme scolaire inédit sur l’histoire de Montréal offert par des guides chevronnés
+ la création d’une École de fouilles archéologiques sur le lieu de fondation de Montréal en partenariat avec l’Université de Montréal (2000-2013).
Un rayonnement ici comme ailleurs
Francine Lelièvre a contribué à diffuser hors Montréal le savoir et l’expérience de Pointe-à-Callière par :
+ La diffusion par le Musée de 70 publications associées à des expositions, des thèmes ou à des résultats de recherches, en français et en anglais pour la plupart
+ L’organisation de six colloques internationaux avec les partenaires ICOM CECA et les Entretiens Jacques Cartier
+ Le jumelage entre Pointe-à-Callière et le Musée archéologique de Saint-Romain-en-Gal (France)
+ Deux présentations aux prestigieuses conférences du Louvre et une cinquantaine de conférences au Canada et à l’étranger (Autriche, Italie, Chine, Kenya, France, Belgique, Finlande, Espagne, etc.)
+ L’itinérance de nombreuses expositions : Iroquoiens du Saint-Laurent (Mexique et France), Reines d’Égypte (Canada et États-Unis), France, Nouvelle-France (France), Terre d’Asie (États-Unis), etc.
+ La création de réseaux professionnels comme le Regroupement des musées d’histoire de Montréal
+ La participation à de nombreux conseils d’administration, dont celui de la Société des directeurs des musées montréalais à titre de présidente.
Une gestion responsable
Sous sa direction, le Musée n’a fait aucun déficit et a toujours financé son fonctionnement avec l’appui de la Ville de Montréal et grâce à ses revenus autonomes et au soutien de la Fondation du Musée.
Un des musées les plus récompensés au pays
Sous le leadership de Francine Lelièvre, le Musée a remporté 94 prix à l’échelle nationale et internationale.
Une personnalité reconnue par la société et par ses pairs
À titre personnel, Francine Lelièvre a reçu plus d’une vingtaine de distinctions :
+ Chevalier de l’Ordre National du Mérite de France
+ Prix Rayonnement international d’ICOM Canada
+ Membre de l'Ordre du Canada
+ Prix du Lieutenant-gouverneur de la Fondation Héritage Canada
+ Prix du service méritoire de l’Association des musées canadiens (AMC)
+ Prix d’excellence de l’Association des musées canadiens
+ Officier de l’Ordre national du Québec
+ Chevalier de l’Ordre national du Québec
+ Doctorat honoris causa de l’Université du Québec à Montréal
+ Doctorat honoris causa remis par l’Université de Montréal, Faculté des Arts et des Sciences
+ Prix Carrière de la Société des musées québécois
+ Prix du Club des entrepreneurs 2017 du Conseil du patronat du Québec
+ Prix du gestionnaire culturel 2015 de la Chaire de gestion des arts Carmelle et Rémi-Marcoux de HEC Montréal
+ Prix Femmes d’affaires du Québec, Réseau des Femmes d’affaires du Québec
+ Prix Femme de mérite – Catégorie Arts et culture par le Y des femmes
+ Prix Grand Ulysse remis par Tourisme Montréal
+ Prix d'excellence en administration publique pour la réalisation de Pointe-à-Callière par l’ADENAP
+ Prix du mérite en interprétation du Patrimoine par l’Association québécoise d’interprétation du patrimoine (AQIP)
+ Personnalité de la Semaine décernée par le journal La Presse à deux reprises (1993 et 2012)
+ Médaille d'honneur de la Société historique de Montréal
+ Trophée d'excellence du Collège LaSalle.
La Fondation Pointe-à-Callière : un appui financier pour la pérennité du Musée
Francine Lelièvre a été la fondatrice de la Fondation, OSBL qui appuie le développement du Musée. Sous sa direction, la Fondation a :
+ Organisé plus de 50 grandes activités-bénéfice, principalement La Soirée des Grands Mécènes et Le Club des bâtisseurs de Montréal
+ Mené une grande campagne de financement qui a permis de créer un fonds de dotation de 13 M$
+ Financé l’acquisition et les travaux de réhabilitation de…
- La Station de pompage D'Youville
- La Maison-des-Marins
- L’ancien hangar du 214 place D'Youville
- Le Fort de Ville-Marie et de l’égout collecteur
+ Appuyé le Musée lors des renouvellements des expositions permanentes (8) et des spectacles multimédias (4)
+ Apporté une contribution aux réalisations des installations éducatives et des programmes éducatifs
+ Offert un soutien financier aux 13 ans de l’École de fouilles archéologiques en partenariat avec l'Université de Montréal
+ Mis en place un programme de bourses en archéologie et en histoire en partenariat avec Pratt & Whitney
+ Développé la phase trois du projet d’expansion du Musée afin de préserver et de mettre en valeur les vestiges du marché Sainte-Anne et du premier parlement de la province du Canada (projet en cours).
Une vie consacrée à la mise en valeur du patrimoine
La rédactrice en chef du magazine Cité s'est entretenue avec la fondatrice du Musée pour en savoir plus sur son parcours