L'envers du décor
6 mai 2020

Le métier d'archiviste des collections

Le métier d'archiviste des collections

L’envers du décor d’une grande exposition à Pointe-à-Callière!

par Marie-Ève Bertrand, Archiviste des collections à Pointe-à-Callière

Cet article est un extrait de la revue Cité. Réalisée par la Fondation Pointe-à-Callière, la revue s’adresse à ses Membres, à ses donateurs, à ses partenaires et à ses commanditaires. Devenez Membre du Musée pour accéder à l’intégralité des contenus exclusifs du magazine Cité.

En visitant une exposition temporaire, vous êtes-vous déjà demandé quelles sont les étapes nécessaires pour arriver à un tel résultat? Qui sont les personnes qui travaillent à la réalisation d’un projet d’exposition jusqu’au jour de l’inauguration?

En tant qu’archiviste des collections, je vais tenter d’y répondre en vous expliquant mon rôle au sein du processus de réalisation. Mais avant tout, il est important de mentionner que la réalisation d’une exposition est un grand travail d’équipe! Le rôle central sera mené par un ou une chargée de projet d’exposition qui va superviser et coordonner tous les acteurs, et qui sera le maître d’œuvre des différentes étapes pendant toute une année. Cette personne débute son mandat avec la recherche et le choix des objets à emprunter pour l’exposition. Elle contacte les différentes institutions afin d’évaluer les possibilités de prêts et leurs conditions. La responsabilité envers les objets empruntés se poursuit jusqu’au retour des objets chez les prêteurs à la toute fin d’une exposition.

Les différents acteurs sous la supervision du ou de la chargé.e de projet, sont entre autres :
- un réalisateur, qui fait la recherche et qui rédige le scénario ainsi que les textes pour l’exposition et la publication;
- un comité scientifique, qui valide la justesse des informations selon les sujets abordés;
- un designer d’exposition, qui, à partir des plans de salles, va créer un parcours pour les visiteurs en intégrant du mobilier, des vitrines, du décor et qui va faire du design de mise en vitrines des objets à présenter;
- une équipe de production audio-visuel;
- une équipe de fabricants de mobilier et des manutentionnaires pour l’installation du mobilier et du décor en salles;
- des spécialistes de la manutention des objets de collection, dit « gants blancs » pour la fabrication de supports sur mesure et l’installation des objets en vitrines;
- des transporteurs spécialisés en déplacement d’œuvres d’art pour les transports des objets entre les prêteurs et le Musée, pour l’aller et le retour des pièces;
- une équipe de documentalistes qui vont faire des demandes d’iconographies et de droits d’auteurs pour les images et les vidéos qui seront présentées;
- un technicien en muséologie aux expositions pour toute la gestion du mobilier entre deux expositions, la commande de matériaux et d’outils en vue du montage d’exposition;
- un technicien en conservation pour s’assurer que les normes de conservation, de température et d’humidité relative sont adéquates dans les salles d’exposition;
- une équipe de sécurité et du bâtiment pour s’assurer que toutes les normes de sécurité sont respectées, avant, pendant et après le montage de l’exposition;

Et c’est sans compter toute la main d’œuvre nécessaire pendant les démontages et montages d’expositions, l’équipe des communications qui s’occupe de la promotion, l’administration, notre équipe à l’action culturelle et nos guides qui se préparent pour vous faire des visites!

Mon rôle, en tant qu’archiviste des collections commence au moment où une liste d’objets a été créée en vue de demander des prêts à différentes institutions ou à des prêteurs privés pour l’exposition. J’embarque dans le projet en créant une base de données d’objets de collections. Chaque objet aura une fiche individuelle regroupant plusieurs informations, comme par exemple : le nom du prêteur, l’image et le nom de l’objet, le numéro d’acquisition, les dimensions et les matériaux, la datation et la provenance, la valeur d’assurances, les conditions de présentation et de conservation, etc.

Au fur et à mesure que le projet avance, de nouvelles informations vont s’ajouter, comme le numéro de la zone d’exposition, le numéro de la vitrine, le type de vitrine, le numéro de caisse de transport et le type d’emballage.

En dehors de la réalisation et du design de l’exposition, la coordination des transports d’objets demeure une étape très importante. Souvent, pour les expositions internationales, les objets provienent de différentes institutions et de différents pays. Si l’on prend l’exemple de l’exposition Place au cirque!, prévue pour l’été 2021, il y aura plus de 300 objets provenant de 24 prêteurs différents, dont trois institutions en France, deux aux États-Unis, et les autres de différentes régions du Québec. Vous pouvez imaginer la complexité logistique et l’organisation des transports et de l’emballage des objets de collection. Il est aussi important de vérifier les dimensions et le poids des caisses afin de s’assurer que ces dernières puissent entrer dans un fret d’avion et dans le monte-charge du Musée.

Pour les objets qui contiennent des matériaux de type animal ou végétal, il existe des demandes de permis de sortie de territoire, dits « CITES » (convention sur le commerce international des espèces de faune et de flore sauvages menacées d’extinction), qui doivent être pris en considération bien avant le transport des objets. Si la documentation n’est pas faite adéquatement, certaines pièces pourraient ne pas pouvoir faire partie de l’exposition.

Lorsque les plans de design sont finaux, notre technicien en muséologie et moi devons nous assurer que les vitrines sélectionnées sont disponibles, que le matériel d’exposition de nos inventaires est réutilisé le plus possible afin de réduire les coûts de production, mais aussi pour réduire notre impact environnemental. Des rencontres de travail avec l’équipe de « gants blancs » sont essentielles afin de déterminer les types de supports à fabriquer pour chacun des objets selon leur position dans la vitrine et leur fragilité, les besoins de socles d’expositions, déterminer la liste des matériaux à acheter pour le montage et le nombre de personnes requises lors du montage en salles pour respecter l’échéancier.

À la suite de ces rencontres, la création d’un calendrier de montage détaillé est de mise. Toutes les étapes doivent être inscrites dans un tableau afin de s’assurer que tout soit réglé au quart de tour! Ce calendrier commence avec la livraison des caisses vides de l’exposition en cours, les dates de démontage et d’emballage des objets de l’exposition qui se termine, le départ des caisses d’objets de l’exposition terminée, les dates de changement de décor des salles incluant le démontage et le montage du mobilier et des vitrines, le départ et l’arrivée du mobilier au débarcadère, l’arrivée des caisses d’objets de la nouvelle exposition, le déballage et les constats d’état de tous les objets, l’installation des objets par vitrine, par jour et par prêteur, le départ des caisses vides pour l’entreposage, les dates d’éclairage et d’installation des audio-visuels, des panneaux et des cartels…. Et ce jusqu’au jour de l’inauguration et de l’ouverture au public! Tout doit être pensé à l’avance afin d’éviter de l’achalandage au débarcadère, dans le monte-charge et dans les salles d’expositions.

Concernant les objets de collection, un nombre très limité de personnes peuvent y toucher. Lorsqu’un convoyeur accompagne les objets, c’est souvent cette personne qui les manipule. Un convoyeur est une personne qui représente son musée et qui est responsable des objets prêtés. Il s’agit la plupart du temps d’un conservateur ou d’un régisseur, qui est l’équivalent d’un archiviste des collections. La personne qui va signer les constats d’état doit aussi pouvoir toucher aux objets pour les observer de près.

On me demande parfois ce qui constitue une bonne surprise dans mon quotidien au travail. Il y en a plusieurs! Par exemple, quand il existe déjà des caisses pour le transport des objets (diminution des coûts de transport), quand les supports des objets existent (ce qui sauve du temps pendant le montage), ou quand les convoyeurs sont déjà venus au Musée pour des expositions précédentes (le lien de confiance déjà établi) pour n’en nommer que quelques-uns.

Et pour les défis? Il peut y avoir aussi plusieurs! Par exemple, que faire quand les dimensions sont trop grandes ou le poids des objets et des caisses sont trop élevés pour entrer dans nos monte-charges afin d’arriver aux salles d’expositions? Il faut aussi porter une attention particulière aux matériaux de certains objets qui sont sensibles à la température et à la lumière; s’assurer que les demandes de permis CITES pour l’entrée et la sortie du territoire sont complétées notamment pour certaines espèces menacées (ex : ivoire, plumes d’oiseaux, etc.). Entre la fin d’une exposition et l’ouverture de la prochaine, nous avons de cinq à six semaines pour réaliser le « changement de décor ». C’est pendant cette période-clé que tout s’enchaîne. La fébrilité est dans l’air, l’adrénaline est à son maximum, c’est le moment où toutes les actions de préparation se concrétisent enfin!

Pendant que le mobilier et le nouveau décor prennent forme, nous accueillons les caisses des nouveaux objets avec les convoyeurs qui les accompagnent. À l’occasion, je dois me rendre à l’aéroport pour assister à la réception des caisses et à l’accueil des convoyeurs. Nous assistons sur place à la « dépalettisation » des caisses et à la manipulation de celles-ci pour la mise en place dans le camion de transport qui se rendra jusqu’au Musée; un moment toujours très sérieux et solennel. Une fois les objets déballés, (où nous pouvons enfin voir les objets en vrai!) nous procédons à la signature des constats d’état, nous classons les objets par vitrine, et l’équipe de “gants blancs” vient observer les objets afin de créer des supports sur mesure et sécuritaires pour leur mise en vitrine. Lorsque les objets prennent place en vitrine, nous devons nous assurer que l’ordre de présentation respecte les numéros des cartels et le sens de la visite. Mon rôle principal pendant cette période est la coordination de toutes les équipes en place afin de m’assurer que l’horaire de montage est respecté.

Lorsque le mobilier en salles est prêt, l’accès aux salles d’exposition reste limité et un périmètre de sécurité est de mise. Ces journées de travail sont très longues et minutieuses, tout est dans l’art du détail pour que le résultat final soit parfait!

Parfois, et de façon exceptionnelle pendant le montage, des journalistes sont invités à assister au décaissage d’objets en primeur.

Tant d’étapes à penser et des relations interpersonnelles qui sont toutes liées les unes aux autres pour l’accomplissement d’un projet d’exposition. C’est un métier fabuleux que de pouvoir contribuer à la réalisation d’expositions, chacune à ses défis, chacune est magique, et nous avons toujours nos coups de cœur! Je me sens privilégiée de faire partie de cette grande équipe et de pouvoir apporter ma touche personnelle aux différents projets.

Marie-Ève Bertrand
Archiviste des collections
Pointe-à-Callière