Août 2013

À la découverte des vestiges du marché Sainte-Anne et du parlement du Canada-Uni

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Par Éric Major, documentaliste à Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal.

Montréal, le 27 août 2013 – Une équipe d’archéologues mandatée par Pointe-à-Callière, cité d’archéologie et d’histoire de Montréal, est à pied d’œuvre pour extraire des entrailles de la place D’Youville Ouest, dans le Vieux-Montréal, les vestiges de l’ancien parlement du Canada-Uni et du marché Sainte-Anne, révélant ainsi un pan marquant de l’histoire montréalaise.

Ces fouilles de grande envergure s’inscrivent dans le plan d’expansion du Musée dont l’objectif est de mettre en valeur ces vestiges exceptionnels et le segment qui s’étend de la place Royale jusqu’à la rue McGill, théâtre d’une intense activité économique et politique tout au long du 19e siècle. En effet, sous la surface de la place D’Youville Ouest, entre les rues McGill et Saint-Pierre, reposent les témoins matériels de ce qui fut une véritable plaque tournante du commerce de Montréal, puis un haut lieu du pouvoir politique.

D’abord, un marché
Il faut remonter aux années 1833-1834 pour voir l’apparition du premier marché Sainte-Anne, abrité dans un imposant édifice en pierres de deux étages d’une longueur de plus de 100 mètres, œuvre de l’architecte John Wells. Le marché est ingénieusement édifié au-dessus de la canalisation de la petite rivière Saint-Pierre dont la fraîcheur assure une meilleure conservation des denrées entreposées dans la soixantaine d’étals du rez-de-chaussée et les 32 celliers disposés dans les soubassements. La présence du cours d’eau constitue également un moyen commode pour se débarrasser des déchets nombreux qui jonchent la place du marché. Sur ce lieu, entre 1834 et 1844, on voit fourmiller une population de marchands et de citoyens qui viennent y négocier des produits maraîchers, des céréales, des pièces de boucherie et des poissons.

Sous les pavés, un parlement?!
Administré par un conseil de syndic jusqu’en 1842, l’édifice est ensuite acquis par la Ville de Montréal, obligeant les marchands à construire une halle de marché en bois au nord-est du site. Peu après, le gouverneur général sir Charles Bagot décide le transfert du parlement, jusque-là basé à Kingston, pour l’installer à Montréal – un endroit plus éloigné de la frontière américaine et donc, moins vulnérable aux éventuelles poussées expansionnistes des voisins du Sud. En outre, croit-il, Montréal représente un lieu plus propice à la cohabitation des élus anglophones et francophones. L’édifice du marché Sainte-Anne, splendide bâtiment néoclassique, s’impose d’emblée comme le siège tout désigné du gouvernement, étant assez vaste et fonctionnel pour accueillir tout l’appareil d’État, soit l’Assemblée, la législature, de même que l’ensemble de la documentation qui consiste en une bibliothèque contenant environ 25 000 volumes et une abondante quantité d’archives. Il faut toutefois réaménager l’endroit afin d’y installer des bureaux au rez-de-chaussée et les chambres d’assemblée au premier étage.

C’est ainsi qu’à compter de 1844, les élus se réunissent à Montréal pour orienter les destinées du Haut et du Bas-Canada réunis sous le nom de Canada-Uni. Seront notamment votés, durant cette période, les principes du gouvernement responsable, la création du Conseil exécutif et la promulgation de règles anti-patronage. Cependant, le climat politique demeure trouble et agité et, dans le sillage des Rébellions durement réprimées une dizaine d’années plus tôt, les intérêts des franges conservatrices et réformistes s’entrechoquent constamment, engendrant bien des débordements.

À la suite des élections de 1848, la nouvelle majorité réformiste prend le pouvoir devant les tories (conservateurs). À l’ouverture de la session de 1849, l’utilisation de la langue française est désormais acceptée. Un projet de loi indemnisant les victimes des soulèvements de 1837-1838 est sanctionné en avril de la même année par le gouverneur général lord Elgin qui entend ainsi accorder aux habitants du Bas-Canada la même faveur qu’à leurs homologues du Haut-Canada. Cette décision attise la colère des marchands britanniques et des tories, auxquels sont associées certaines loges orangistes, et il s’ensuit d’âpres débats et une forte montée de la violence.

Le mécontentement atteint son point culminant le soir du 25 avril 1849, alors qu’une foule survoltée de 1500 personnes s’est rassemblée au Champ de Mars à l’invitation de The Montreal Gazette qui publie ce jour-là un extra invitant la population à protester contre le bill d’indemnité. De là, les protestataires se dirigent vers le Parlement où ils saccagent le bâtiment et provoquent un incendie. Amédée Papineau, un témoin de la scène, décrit les déprédations subies par l’édifice alors que plusieurs pompiers demeurent passifs et que d’autres sont neutralisés par les incendiaires qui ne se gênent pas pour éventrer les boyaux d’arrosage. Deux heures plus tard, lorsque l’armée arrive enfin, le parlement et tout son contenu ne sont plus que ruines et cendres. C’en est fini du rôle de Montréal à titre de capitale du Canada. Le siège du gouvernement élira domicile alternativement à Toronto et à Québec, avant de se fixer définitivement à Ottawa.

De nouveau, un marché
Au lendemain de ces événements dramatiques, un nouveau marché est reconstruit dès 1851 : c’est la résurrection du marché Sainte-Anne auquel se greffe bientôt un marché aux poissons ainsi que plusieurs entrepôts et magasins à vocation commerciale dans une cohabitation qui n’est pas toujours harmonieuse. Ce marché sera finalement démoli en 1901 pour faire place à un espace public – le Parliament Square – et à un lieu de commémoration dédié à Marguerite d’Youville, alors qu’un stationnement et une caserne de pompier y seront aussi aménagés au début du 20e siècle. Ce sont ces morceaux d’histoire, et bien d’autres encore, que Pointe-à-Callière se propose de mettre au jour et de redécouvrir en effectuant des fouilles archéologiques.

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